L’ Anorexie Mentale

L’Anorexie Mentale

Explication et hypothèses, liens à la mère et à la sphère familiale 

 

 Marie-Sophie Caujolle - EPC décembre 2015

 

 

Les anorectiques se laissent mourir de faim et les boulimiques dévorent avant de régurgiter ou pas. Ces pathologies ne correspondent pourtant pas seulement à une façon de s’alimenter. Pourquoi ces adolescentes ne peuvent-elles pas s’en libérer si elles le veulent? Comment s’explique la puissance de cette emprise et le comportement compulsif et autodestructeur qu’elle entraine?
La plupart des chercheurs conviennent que l’anorexie a un lien avec le passé de l’individu, avec son contexte familial et avec les pressions culturelles et sociales notamment subies par les femmes dans nos pays occidentaux. Mais quelles en sont les causes psychologiques et symboliques?

 

L’anorexique a un rapport particulier avec la nourriture. Tout ce qui est susceptible de faire grossir, d’influencer sur la corpulence, doit être contrôlé et fortement limité.

Le comportement face à la nourriture devient un moyen d’exister, de s’affirmer au monde, renvoie à la première rencontre, à la mère, à ce qu’elle a exprimé dans le feed back des premiers instants. Anzieu parle de pulsion d’attachement, non sexuelle, passant par tous les sens mais notamment par le corps et servant de point d’encrage à la pulsion de vie. La mère nourrit le foetus grâce au cordon, coupé par le père lors de l’accouchement. Le lait maternel est le « sang » qui continue à nourrir le nourrisson jusqu’au sevrage. Le lien, véritable fusion, entre la mère et l’enfant se détache progressivement à travers le rituel. La naissance tient lieu de première séparation, le stade oral en perpétue le lien narcissique. Mais la construction du sujet s’initie déjà au détachement et continue son processus d’autonomie à travers les étapes du développement de l’enfant, entre protection et apprentissage. L’éducation doit trouver le juste équilibre entre les affects et le devoir, entre le désir et la castration.

Le couple, véritable entité, doit s’adapter au changement de nombre. Le 3 est synonyme de mouvement, offre la perspective de l’identité dans l’échange. Se pose alors la définition du couple. Le couple parental, les couples « dans la famille », se questionnent. Quelle est ma relation à l’autre?
Le lien d’attachement, cette force d’amour potentialise la pulsion de vie, donc de détachement de la mère vers l’autre, d’abord vers le père puis vers l’environnement.

Si la mère est trop fusionnelle et considère son enfant comme un objet lui appartenant, si le père, distant ou pas suffisamment présent, ne coupe pas cette fusion, l’enfant se retrouve confronté à 2 pulsions qui s’opposent. L’opposition entre la fusion et le détachement « interdit » est à l’origine du comportement anorexique.

La surprotection, le contrôle excessif, l’ « image » de la famille parfaite et la non- expression des conflits figent l’enfant dans un imaginaire manquant de limites objectives et l’emmène vers un dilemme difficilement identifiable et donc extrêmement angoissant. Le couple est généralement Oedipien, dans une relation de « dominant-dominé » ou le Je se confond avec le Nous. Dans un désir frustré, le couple transmet à l’enfant son inconscient fantasmé et génère un idéal matérialisé dans « le va vers moi » au lieu du « va vers toi » nécessaire à la construction moïque (Marie Balmary - Le sacrifice interdit). Le Moi fragilisé de l’enfant, entre une mère qui manque de confiance et n’assume pas son propre « Je », un père distant se raccrochant à sa femme comme à une mère et ne se positionnant pas, s’explique finalement par un manque de connaissance de la place de chacun. Au lieu d’un couple mature s’engageant ensemble à travers une identité assumée et consciente permettant la dialectique et l’évolution de chacun à travers la confrontation à l’autre, le couple Oedipien est bloqué dans sa transmission de part ses bases incestueuses et infantiles. L’adolescence dans sa pulsion d’opposition va mettre à mal la « perfection » établie et révéler la pathologie familiale. L’enfant, malgré son « conditionnement » n’est pas dupe du dysfonctionnement.

 

Chaque enfant a le fantasme du parent symbolique, du parent qui sait, qui est la loi, qui est au dessus et qui doit le juger. La religion a souvent fait office de transition, de transfert possible entre les premiers doutes et la réalité. Mais comment se construire sans parents, sans société, sans repères de ce qui est bien ou mal? Comment quitter l’idéal à atteindre sans réel exemple? Les mythes, la philosophie, les textes religieux peuvent apporter des réponses mais n’ont plus leur importance aujourd’hui. Le thérapeute sert souvent de référence et de guide des valeurs oubliées. Le progrès, la modernité et l’évolution des moeurs renvoient malheureusement à la perte du «père» et aux régressions Oedipiennes. L’individualisation féminine doit elle passer par cette résistance? La femme, si longtemps à la fois « protégée et exploitée », prend le risque de l’indépendance. N’est ce pas finalement associé aux comportements anorexiques, entre ces 2 désirs qui s’opposent et se confrontent, entre la protection acquise et le désir de vivre?

Au delà du rapport familial, la société renvoie une image. La pression devient culturelle, elle découle d’un fonctionnement sociétal, d’un inconscient collectif dont nous sommes tous tributaires. L’anorexie en quelque sorte dénonce le dysfonctionnement du monde occidental qui sous couvert d’évolution scientifique est en pleine régression humaniste.

La société de consommation, le pouvoir de l’avoir au détriment de l’être, arrive à sa limite. Les maladresses d’amour ne peuvent plus en oublier les conséquences. L’amour ne doit plus être assimilé à de la fusion. La solidarité ne doit plus naitre des bombes. Oui, nous sommes sensibles... alors que cette sensibilité éveille les consciences! Les enfants « rois » ne feront que des narcissiques. Entretenir l’illusion ne les fera pas grandir.

 

L’anorexique dans son conflit de « réparation » se punit elle même. Sauf qu’elle n’en a pas conscience. Elle veut faire comprendre l’impensable, en misant sur l’amour. Sauf que ça n’a rien a voir avec l’amour (fusion), mais plutôt avec l’altérité (empathie). Et notre psychisme obéit aussi a des règles. Un être humain se construit. L’empathie, la considération maternelle dans l’échange des premiers instants est essentielle. La pulsion d’attachement constitue le ressort qui potentialise la pulsion de vie, c’est à dire la force de s’ouvrir à l’autre dans la séparation « permise » par la mère. Le positionnement du père, en tant qu’homme, debout et volontaire, transmettant les valeurs, est aussi importante, dans sa différence identitaire et sexuelle. L’autre apparait alors à l’enfant comme condition à être Soi. Le couple parental qui se positionne permet à l’enfant de trouver sa place. Le « connait toi toi même » inscrit en Grèce sur le sanctuaire d’Apollon signifie clairement qu’il faut savoir rester à sa place, déjà en tant qu’Homme (ne pas agir comme un animal) puis en tant que femme, d’homme, d’enfant etc...
Le principal conflit rencontré dans la pathologie de l’anorexie est celui du positionnement : la place de chacun n’est pas définie et surtout inappropriée (la femme est la mère, l’homme le fils, l’enfant le conjoint...). Donc si l’enfant ne peut pas se situer dans sa relation à l’autre (si la mère dans son lien d’attachement est pathologique et le père ne joue pas son rôle castrateur), il rentre dans une angoisse existentielle qui l’amène dans des comportements « de réaction ». Il ne peut pas être encore dans « l’action » car il ne comprend pas son mal à être. La régression a pour but de faire réagir les parents sensés comprendre l’existence, considérés comme « idéaux ».
Le lavage de cerveau de la famille idéale fonctionne mais l’enfant est bloqué face au déterminisme de la vie qui s’oppose au déterminisme familial.

Trois comportements différents peuvent être observés chez l’adolescente dans la régression orale : l’anorectie, la boulimie suivie de vomissements et la boulimie. La nourriture devient une obsession de chaque instant, elle est au centre de toutes les préoccupations. La dismorphophobie et le mécanisme compulsif de ces comportements en font la gravité et génèrent une grande angoisse. Pourtant des différences existent. L’anorectique arrête de se nourrir jusqu’à devenir squelettique, le pronostic vital est en jeu, ce qui me semble le cas le plus grave. L’adolescente montre par son amaigrissement sa détermination tout comme la boulimique qui grossit à cause de ses fringales. Mais le mécanisme diffère : l’anorectique refuse la fusion alors que la boulimique la souhaite. La boulimique veut se remplir, retrouver la plénitude du bébé bien nourri et sécurisé. Le lien d’attachement avec la mère a du être bien vécu mais prolongé et excessif n’autorisant pas le détachement (relation d’objet). Dans le cas de l’anorectique la fusion est insupportable, le lien d’attachement a du être distant et manquer d’empathie. Le lien existe (sinon il y aurait une psychose) mais il est inconsistant, poreux et génère une pulsion de mort excessive. L’enfant reste peau-liée et mal-liée avec sa mère, à la fois dans le manque d’amour et la recherche d’amour, dès le départ insécurisé et phobique de toute possibilité d’autre. Cependant l’anorectie peut être accompagnée de crises de boulimies suivies de vomissements. L’anorexique boulimique et non pas seulement anorectique assume moins son opposition (moins de rigidité), le poids ne varie que faiblement, ce qui est moins visible de l’extérieur et passe souvent inaperçu. Dans ce cas, le lien à la mère est déroutant, il alterne entre empathie et ignorance. Selon Anzieu il est à l’origine des états limites et provoque une grande instabilité affective.
Dans ces pathologies du lien à la mère, on retrouve des similitudes entre les comportements alimentaires et le désir d’enfant. La boulimique dans son désir de se remplir peut multiplier les grossesses dans le seul but de se retrouver enceinte. L’anorexique boulimique est plutôt amenée à interrompre ses grossesses tandis que l’anorectique coupe dès le départ toute possibilité d’avoir un enfant avec son aménorrhée. 

 

L’aspect le plus évident de l’anorexie est sa nature obsessionnelle. Mais qu’est ce qui a besoin d’être défendu avec tant d’acharnement? C’est avant tout son image, celle qu’elle s’est créée pour faire plaisir, pour répondre au désir inconscient de ses parents et être la « petite fille » parfaite. Sauf qu’elle est niée dans sa réalité d’être : elle fait partie de la famille tel un bel objet.

D’un côté elle est mise sur un piédestal et de l’autre elle est rabaissée dès qu’elle lâche un peu son contrôle de perfection. Le fonctionnement est pervers et l’emprise se met en place empêchant toute possibilité d’être, de penser par soi-même. Elle devient une marionnette dépendant du bon vouloir des autres, attentive à leurs désir qu’elle s’approprie et est totalement obsédée par l’idée de bien faire.

Elle met toute son énergie à maintenir « intacte » son image idéale dans sa famille idéale. Mais la violence est bien réelle, la dévalorisation de soi aussi. Quand elle ne répond pas à l’injonction parentale elle se croit mauvaise et s’interdit les besoins et les sentiments qui ne vont pas dans le sens familial.

La piètre estime de soi que l’on retrouve chez toutes les anorexiques vient du fait que leur parents veulent qu’elles soient une personne qu’elles ne sont ni ne peuvent être. Elles ont tenté de se conformer mais ont échoué. Elles se détestent et ne voient aucune issue pour sortir du piège épouvantable dans lequel elles se sont laissées enfermer.

 

Les anorexiques ont cependant souvent des capacités supérieures à la moyenne. Leur intelligence est émotionnelle et leur extrême sensibilité leur donne une pensée arborescente souvent incompatible avec le système éducatif, ce qui renforce leur sentiment de dévalorisation, de vilain petit canard inadapté au monde actuel.
Ce haut potentiel en fait la victime idéale du pervers narcissique qui la vampirise et prolonge l’emprise familiale dans la répétition du schéma parental. Le pervers narcissique et le narcissique font partis des états limites, ils sont l’antithèse de leur victime. Le lien d’attachement à la mère est aussi pathologique, très insuffisant et souvent oscillant entre excès de possession et abandon total. Sauf que le mécanisme de défense est opposé : l’enfant se ferme à toute empathie et à toute émotion, il devient une image qu’il développe dans le but non pas de faire plaisir à l’autre mais de jouir de l’autre. Pour le petit pervers (le narcissique), l’autre est un objet de plaisir, a son service mais il ne jouit pas de sa souffrance contrairement au pervers narcissique qui aime jouer avec ses victimes. Dans ce cas on peut supposer que le lien d’attachement à la mère a lui même été pervers.

 

Si les garçons peuvent rechercher une sécurité fusionnelle excessive (boulimie), ils la rejettent rarement (anorexie).

Ils s’exprimeront plutôt par des comportements à risque, asociaux, par l’échec scolaire et la délinquance (tournés vers l’extérieur plus que vers l’intérieur). Cela peut s’expliquer par le caractère Oedipien de la relation mère-fils, de la place naturelle et symbolique de l’homme (pulsion de mort) et de la femme (pulsion de vie).

La puissance du désir d’enfant, du lien mère-enfant durant la grossesse éclaire le rapport à la fusion exprimé différemment selon les sexes.
Le trouble alimentaire anorexique renvoie à la mère « nourricière » et à la possibilité d’être mère à son tour.

Lors de la castration orale, le rôle de la mère se révèle essentiel pour le futur développement de l’enfant.

Toute fixation de la blessure narcissique entrainera à l’adolescence des comportements pathologiques qui pousseront à la dépasser.

 

 

Cas clinique : Simone

 

I - Analyse du fonctionnement de Simone 

 

 

Entretien clinique : Anamnèse - Antécédents - Symptômes - Traitement et évolution

- Patiente de 19 ans, étudiante se destinant à l’enseignement.
- Amaigrissement progressif depuis 1 an (15 kg ) fait 1m68 pour 43 kg, aménorrhée depuis 6 mois, hospitalisée sur les conseils du médecin.

- Sensation de « pesanteur » dans l’estomac
( restriction alimentaire allant jusqu’au vomissement).
- « dégout » de la nourriture physique/ surinvestissement de la nourriture intellectuelle
(entrainant amaigrissement et aménorrhée).

- Dénis de la maladie. « Elle n’était pas malade, elle pouvait bien travailler. » (P 31) Née à terme, pas désirée mais acceptée.
- Enfant précoce, sensible, rêveuse, coquette et artiste.
- Père ouvrier et mère concierge, frère de 21 ans, militaire : moins instruits qu’elle : sentiment d’isolement intellectuel, de ne pas « être comprise ».
- Rupture sentimentale à 18 ans (déception d’un amour « idéal », pression ressentie au niveau sexuel).

- Hospitalisation avec isolement complet jusqu’à la normalisation du poids.
- Psychothérapie et visites possibles de la famille jusqu’à la reprise d’une habitude alimentaire et la réapparition des règles.

- Sortie au bout de 3 mois avec maintient de la psychothérapie.
- Depuis 1 an, le poids semble stabilisé, la patiente est plus autonome dans sa relation familiale.

 

Analyse 

- Image du corps fantasmée (se voit toujours trop grosse, « imparfaite » : mécanisme dysmorphophobique).
« Après tout, bien sur elle a maigri, mais c’est son estomac qui lui joue des tours, et puis on est pas obligé d’être grosse, on est mieux ainsi. » (P 28)

- Régression au stade Oral : le symptôme montre le refoulement de l’agressivité, contenue dans le désir de « perfection » parental transmise à l’enfant « nié » dans sa réalité d’être. L’adolescence dans son processus d’opposition pour l’individuation crée la fixation orale : le désir fusionnel se confrontant au désir « interdit » de détachement. L’aménorrhée fait symboliquement redevenir « enfant » (répudiation du corps mature et de la sexualité).

« Simone doit assurer son avenir en réussissant le plus rapidement possible mais sans s’éloigner de chez elle. » (P 28) Son histoire sentimentale l’a beaucoup ennuyée, elle a préféré arrêter sa relation car « les choses sexuelles » ça ne l’intéresse pas. » (P 29)

- Sentiment de puissance et ruse : « jubilation narcissique » de montrer (inconsciemment) et même jusqu’à la mort qu’empêcher de vivre et de grandir a un prix a payer. L’excès d’insistance des parents amène un excès de résistance et fige la relation pathologique. D’où l’isolement familial qui permet le lâcher prise et l’autonomie « possible » en coupant la pression psychique excessive ressentie par l’adolescente.

« Cette situation amenait sa mère à s’occuper d’elle de façon toujours plus pressante. Quand on la laissait tranquille elle se sentait beaucoup mieux. » (P 30)

- La sensation de faim est vécue comme une pulsion « honteuse » dont tout excès est extrêmement culpabilisant : boulimie accompagnée de vomissements (désir de fusion insupportable et rejeté dans un immense soulagement mais dévalorisant encore plus l’estime de soi déjà fragile).

« Elle essaya bien de se forcer un peu mais cela lui entrainait une telle sensation de pesanteur dans l’estomac qu’elle ne pouvait plus manger. Rien que de voir venir l’heure du repas, elle avait la nausée. Quand on insistait, elle vomissait son repas.» (P 29-30)

- L’anorexie accompagné ou non de crises de boulimie exprime un trouble du développement, un doute identitaire, un Moi quasi inexistant et fantasmé. Le symptôme comportemental passant par le corps est un appel désespéré à exister.

 

Les causes

Biologiques (prédisposition féminine).

Sociales et culturelles (race blanche, classe moyenne ou supérieure car attente de réussite scolaire plus importante, valorisation de « l’image », compétition, refus de la condition féminine « ordinaire », surprotection familiale et manque de valeur sociétale, absence de repères et de limites).

psychologiques :

- L’anorexique vit un Conflit Oedipien (idéalisation du père), une soumission à l’autorité. Elle se défend en intellectualisant et possède souvent des aptitudes supérieures à la moyenne. Le Moi est fragilisé (déficience de la relation mère-enfant). La sociabilité est vécue selon un mode relationnel familial (pathologique). L’idéal du Moi est hypertrophié : refus pulsionnel, honte, décalage angoissant du réel. L’anorexique donne l’impression d’être une belle image (pour faire plaisir car voulu par ceux qui se disent l’aimer) tout en se croyant « vide » à l’intérieur (dévalorisation).

« Simone admire le courage de son père mais elle le craint : il est bourru et manifeste peu ses sentiments. Ses intérêts littéraires tendent à l’isoler des siens dont elle reconnait les mérites et le soutien. Sa vie sentimentale est reléguée au second plan et elle a plutôt peur des réalités de la vie.» (P29)

- Les parents pris au piège de leur propre désir fantasment l’enfant et l’empêche d’être lui-même. La mère connait souvent un passage dépressif lors des premières années de l’enfant, est en général distante, recherche la domination familiale tout en se sentant dévalorisée. Le père est plutôt absent et soumis à sa femme avec une bonne réussite sociale. La cohésion familiale est excessive, manque d’expression des émotions.

« Son père ne comprend rien à ses problèmes. Il est sévère, méticuleux et s’emporte pour un rien. Sa mère, anxieuse et inquiète même sans motif, admire ses qualités intellectuelles, regrette de ne pas avoir pu faire d’études comme elle.» (P 27)

- L’anorexique, par son comportement, tente de se soustraire d’une situation angoissante d’échec d’adaptation. La surprotection, l’évitement des conflits et le contrôle parental excessif pendant l’enfance forment un apparent équilibre familial qui se retrouve menacé lors de l’entrée dans l’adolescence et provoque le comportement pathologique. Le conflit ainsi exprimé renvoie aux parents leur propre problématique, il y a « exigence de réparation ». Ne pas pouvoir se séparer et être soi-même est en vérité une mort symbolique. Le mécanisme est d’autant plus pervers que la violence psychique imposée à l’enfant se justifie au nom de l’amour. Le fait d’imposer ses attentes et ses besoins, d’aimer son enfant pour les espoirs de réussite qu’on met en lui est en soi une violence. L’adolescente conteste le statu quo familial et dénonce le mythe familial d’absence de conflit. Par le désordre alimentaire elle maintient et accentue le fonctionnement familial pulsionnel tout en protestant contre une oppression dont elle est incapable de se libérer.

« L’isolement complet fut exigé mais il a fallu insister auprès des parents qui trouvaient la décision trop sévère et ne s’étaient jamais trop séparés d’elle. » (P 31)

 

II - Hypothèses d’évolution

 

Lors de l’entretien clinique il faut essayer de comprendre au mieux le fonctionnement de Simone. Son anorexie doit être posée dans sa singularité à elle afin de pouvoir l’aider à évoluer personnellement, dans le sens de la meilleure adaptation sociale possible. Les hypothèses d’évolution de la pathologie de Simone sont malgré tout dépendantes de plusieurs facteurs. Pour Chabrol : « L’évolution des conceptions étiologiques et thérapeutiques a conduit à développer des traitements multimodaux associant diverses approches répondant au déterminisme multifactoriel des désordres alimentaires. Le traitement médical et nutritionnel, la psychologie individuelle et la thérapie familiale doivent être habituellement combinées.» (Anorexie et la boulimie de l’adolescence p 113).

 

1- Traitement médical et nutritionnel

L’hospitalisation comme nous avons vu dans le cas de Simone apporte en priorité la normalisation du poids, permet de mettre en place une rééducation nutritionnelle (car tous les paramètre biologiques et physiologiques sont altérés, notamment le thermostat hypothalamique de la satiété.). Elle initie aussi l’adolescente à la thérapie individuelle. Cette première approche est capitale mais difficile car imposée. L’anorexique est dans le dénis de sa maladie et a généralement honte de ses conduites. La famille est dans l’incompréhension totale de se qui se passe et est souvent désemparée. « L’entretien avec l’adolescente doit manifester intérêt, respect, compréhension et éviter la confrontation. » (Chabrol - Anorexie et la boulimie de l’adolescence p114). Dans le cas de Simone, l’évolution est positive. Elle s’est alimentée de mieux en mieux, a repris progressivement du poids et a retrouvé une habitude alimentaire suffisante. La reprise des menstruations et son désir de continuer la thérapie ont contribué a envisager sa sortie au bout de 3 mois avec confiance.

 

2- Thérapie individuelle

Le choix de continuer une psychothérapie à sa sortie de l’hôpital amène une hypothèse d’évolution plutôt positive pour Simone. Selon Chabrol, la mise en place d’un « contrat de prise de poids » avec l’adolescente peut servir de médiation entre elle et ses parents « il autorise la patiente à opérer un mouvement d’autonomie et de séparation, il permet une mobilisation des défenses si rigides de ces patientes ». Après son hospitalisation, Simone a repris une vie « normale » depuis 1 an et poursuit avec succès ses études en faculté. Elle se montre beaucoup plus autonome qu’autrefois avec sa famille ce qui est encourageant mais son poids reste juste suffisant et l’appétit médiocre. Elle n’est donc pas à l’abris d’une rechute et reste très fragile dans son « image » et sa relation à l’autre. La première étape de la thérapie dans l’écoute et la mise en place d’une relation thérapeutique de confiance, doit progressivement faire évoluer son expression émotionnelle vers la symbolique. La principale difficulté est de doser la résistance souvent excessive de ces patientes.

Le but de la thérapie individuelle est de rejouer dans le transfert parental différemment l’histoire familiale. Simone doit retrouver confiance en elle, restructurer son Moi fragile, découvrir qui elle est, accepter la pulsion comme formidable source de vie tout en acceptant de la limiter mais pas trop sévèrement. Elle doit prendre du recul face à son histoire familiale pathologique, incestueuse et quitter l’illusion dans laquelle elle a grandi. Il est important aussi de ramener à « l’ici et maintenant », a favoriser son indépendance et à la responsabiliser tout en l’encourageant. Le thérapeute joue le rôle du parent symbolique, en transmettant les valeurs de vie et en leur donnant un sens, vérifiable par l’expérience, entre les consultations. L’éloignement familial est indispensable mais le risque est grand de s’orienter vers des relations toxiques reproduisant le schéma familial. Simone peut devenir la victime idéale du pervers narcissique et rejouer inconsciemment dans une relation amoureuse ce qu’elle a vécu dans son enfance. Le risque de rechute est alors maximal. La prise de conscience du fantasme de « l'idéal amoureux », de « l’idéale famille » est essentielle. Simone a cependant absolument besoin de repères solides sur lesquels s’appuyer afin de renforcer son narcissisme blessé.

 

 

3- Thérapie familiale

Pour Chabrol, surtout pour les jeunes adolescentes « une véritable individuation n’est possible qu’avec le consentement émotionnel des parents. » (Anorexie et la boulimie de l’adolescence p117). Les parents sont souvent désemparés face à la détresse de leur enfant et souhaitent comprendre ce qui se passe, savoir ce qu’ils peuvent faire. Ils ont eux aussi besoin de repères. Il est important pour le thérapeute de souligner l’importance de leur rôle, de responsabiliser les parents sans les culpabiliser. Les maladresses d’amour ont des conséquences graves et se transmettent de génération en génération. L’anorexie révèle la surprotection, le contrôle excessif et les problèmes conjugaux Oedipiens. Il est important de pouvoir confronter les parents à leur responsabilité, de les amener à découvrir la dysfonction familiale, à prendre conscience de la connexion entre le désordre alimentaire de leur enfant et le positionnement pathologique des places de chacun.

Pour Simone, la thérapie familiale n’est pas évoquée. Elle peut se soigner individuellement et décider seule d’être plus autonome avec l’aide de son thérapeute. Mais même si ce n’est pas indispensable, l’évolution est plus rapide sans la résistance parentale. L’encouragement familial aide l’adolescente dans son combat vers la maturité. La principale difficulté réside dans l’attente que présuppose une prise de conscience des parents. Le mode de fonctionnement des parents est généralement bien rodé et essayer de comprendre leur enfant ne suffit pas. Leur culpabilité sous jacente potentialise leurs résistances, freine la « remise en cause ». Leur positionnement est pourtant essentiel et doit s’ajuster, notamment dans le « lâcher prise », le détachement et la responsabilisation.

La distance me semble le maitre mot, tant pour les parents que pour l’adolescente anorexique. Un juste équilibre doit être trouvé dans le respect de chacun. Le jugement doit laisser place à l’expression des différences et à la construction Moïque. La guérison vient dans l’expérience qui peut enfin se vivre mais nécessite d’en prendre le risque. Le thérapeute montre le chemin, le choix appartient toujours au patient.

 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Armelle (vendredi, 31 mai 2019 21:08)

    Que n'ai je lu ce texte plus tôt......J'aurais mis plus facilement des mots sur ce que je ressens depuis mon adolescence....Merci d'avoir éclairé ma lanterne.....ça fait du bien !

  • #2

    Marie-Sophie (samedi, 01 juin 2019 09:56)

    Je suis heureuse d'avoir pu vous éclairer. Bonne continuation Armelle.